Cela fait un an que la pandémie de Covid-19 nous affecte au niveau mondial.
Début février 2020, en Europe, nous commencions à parler sérieusement de la propagation d’un virus inconnu du grand public et, le mois suivant, nous entamions notre premier confinement.
Depuis, nous avons vécu des espoirs et des désillusions, une liberté estivale partielle, les couvre-feux, et l’arrivée des premiers vaccins mais aussi celle des premiers variants. Après une année de difficultés et d’instabilité, nous sommes tous fatigués de la situation, alors que les perspectives d’une fin proche sont encore très incertaines.
Des effets secondaires différents, mais tout aussi importants
La gravité de la situation a nécessité la mise en œuvre de décisions extrêmes qui ont eu un impact sans précédent sur la vie quotidienne des populations. Ce contexte de contraintes sanitaires ainsi que les crises économiques et sociales qui en ont découlé ont eu une multitude de conséquences psychologiques et physiques.
Au cours de ces douze mois de pandémie, notre équilibre émotionnel a été mis à rude épreuve par des émotions perturbatrices telles que la peur ou l’anxiété qui sont liées aux risques sanitaires immédiats ou aux incertitudes économiques présentes et futures. S’il est vrai que tout le monde n’a pas été affecté par la pandémie de la même façon, personne n’a échappé à certains de ses effets négatifs.
Ainsi, même lorsque nous n’avons pas été personnellement touchés par la perte ou la maladie d’un proche, les changements de comportement forcés ont alimenté la souffrance due à la privation de notre mode de vie habituel et de nos routines sociales quotidiennes. Cette situation a créé un sentiment accru d’isolement et de solitude dans certains cas, d’ennui et de compensation compulsive dans d’autres, voire une sensation d’accablement pour les personnes se trouvant dans des espaces familiaux restreints.
La lassitude de la situation affecte nos fonctions cognitives, notre capacité à gérer les émotions et nos relations avec les autres.
Nous ressentons aujourd’hui la fatigue d’être exposés depuis un an à des tensions aussi bien mentales que physiques, ce qui dégrade nos fonctions cognitives, notre capacité à gérer les émotions, nos relations avec les autres, notre aptitude à répondre aux situations difficiles, notre besoin de sens et d’engagement, en trois mots : notre bien-être général. Or, les recherches1Understanding the Stress Response: The Chronic Activation of this Survival Mechanism Impairs Health. (2020) Harvard Health Publishing. + A. Mariotti, The effects of chronic stress on health: new insights into the molecular mechanisms of brain–body communication. (2015) Future Science OA, vol. 1, no. 3. ont montré que l’activation chronique de notre système de réponse aux situations stressantes produit des effets négatifs sur le corps et le cerveau. C’est pourquoi il est important de prendre en considération ces situations et de mettre en place les actions capables de s’opposer à ces effets.
Qu'est-ce que la « fatigue pandémique » ?
Comme si les effets négatifs de la pandémie ne suffisaient pas, la durée de la crise devient également un facteur aggravant. Avec le temps, le poids des limites imposées aux individus crée une lassitude psychologique qui tend à diminuer l’acceptation de la situation et à minimiser l’implication dans les mesures à suivre.
Aujourd’hui, tous les États membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)2Pandemic Fatigue: Reinvigorating the public to prevent COVID-19. Policy framework for supporting pandemic prevention and management. (2020) World Health Organization Regional Office for Europe. observent dans leur population des signes révélant un état défini comme la « fatigue pandémique ». Le terme « fatigue », qui est utilisé dans son sens courant, désigne un état d’épuisement.
La fatigue pandémique représente un véritable problème social et politique, car elle entraîne une diminution de la menace perçue du virus et une démotivation des individus à suivre les comportements barrière, réduisant ainsi directement l’efficacité de la lutte contre la pandémie.
Cette fatigue conduit également à un état psychologique où les pertes individuelles (p. ex., liberté d’action, relations sociales, incidence économique) causées par la situation commencent à être perçues comme plus importantes que les risques et les conséquences du virus lui-même.
Comment les entreprises sont-elles affectées ?
Comme nous le savons, que l’individu soit dans son contexte personnel ou professionnel, il reste le même. Aujourd’hui, avec le confinement et le travail à distance, cette constatation est encore plus évidente, c’est pourquoi les entreprises et les organisations sont directement impactées par les effets de la « fatigue pandémique ».
Tout d’abord, le risque de voir ses collaborateurs infectés par le virus est plus élevé si les comportements barrière ne sont pas correctement respectés et, en cas de présence sur le lieu de travail, le risque de contaminer plusieurs personnes simultanément est encore plus grand.
Quoi qu’il en soit, c’est l’aggravation de l’état psychologique des employés qui a le plus d’impact sur les organisations. Cette condition doit être sérieusement prise en considération car, grâce aux neurosciences3A. J. Porcelli and M. R. Delgado, Stress and decision making: effects on valuation, learning, and risk-taking. (2017) Current Opinion in Behavioral Sciences, vol. 14. + B. S. McEwen and R. M. Sapolsky, Stress and cognitive function. (1995) Current Opinion in Neurobiology, vol. 5, no. 2., nous savons que le déséquilibre psychologique et émotionnel affecte directement les capacités cognitives, la prise de décision et la qualité des relations professionnelles.
Comment agir au niveau des RH ?
Si la situation actuelle est difficile, la bonne nouvelle est qu‘il existe plusieurs stratégies possibles pour aider les équipes et dirigeants à retrouver de la perspective et à augmenter leur niveau de bien-être au quotidien.
En raison de l’impact à plusieurs niveaux de la fatigue pandémique, les solutions doivent porter non seulement sur la réorganisation des méthodes et des processus de travail, mais également sur les conséquences émotionnelles liées aux circonstances difficiles.
Nous parlons beaucoup de résilience en cette période, mais l’évoquer comme une amulette qui aurait le pouvoir de supprimer les difficultés serait vraiment trompeur. La résilience est une capacité innée qu’ont les êtres humains à faire face à des événements inattendus et à se remettre des épreuves provoquées par ces événements.
Les entreprises peuvent aider leurs employés à accroître leur capacité de résilience grâce à des formations spécifiques qui intègrent les résultats de la recherche en neuroscience, en psychologie et en sociologie.
Néanmoins, la capacité à se remettre de l’adversité diffère d’une personne à l’autre, c’est pourquoi il est important pour les entreprises et les organisations d’aider leurs employés à accroître leur capacité de résilience grâce à des formations spécifiques4I. T. Robertson, C. L. Cooper, M. Sarkar, and T. Curran, Resilience Training in the Workplace from 2003 to 2014: A Systematic Review. (2015) Journal of Occupational and Organizational Psychology, vol. 88, no. 3.. Cela nécessite de prendre en compte les mécanismes cérébraux associés à la résilience ainsi que les pratiques d’entraînement de l’esprit qui favorisent un meilleur équilibre entre les fonctions exécutives et les fonctions émotionnelles.
Deux éléments importants de notre capacité de résilience sont la façon dont nous percevons les difficultés et la façon dont nous analysons la situation, en comprenant quelles solutions ou quels changements sont possibles et, à l’inverse, quels aspects sont en dehors de notre capacité d’intervention. Ces deux aspects : le recadrage5J. T. Buhle et al. Cognitive Reappraisal of Emotion: A Meta-Analysis of Human Neuroimaging Studies. (2014) Cerebral Cortex, vol. 24, no. 11. + A. S. Troy, F. H. Wilhelm, A. J. Shallcross, and I. B. Mauss, Seeing the Silver Lining: Cognitive Reappraisal Ability Moderates the Relationship Between Stress and Depressive Symptoms. (2010) Emotion, 10 (6)., qui est soutenu par des pratiques favorisant une réévaluation cognitive constructive, et l’acceptation, qui fait référence à la compréhension de ce que Fred Luskin appelle dans son livre Pardonner pour de bon les « règles inapplicables », à savoir les situations sur lesquelles nous n’avons aucun contrôle. Accepter, c’est éviter que la frustration liée à ce type de situation nous entraîne dans un blocage psychologique qui affecterait inutilement notre qualité de vie et nos compétences professionnelles6A. J. Shallcross, A. S. Troy, M. Boland, and I. B. Mauss, Let It Be: Accepting Negative Emotional Experiences Predicts Decreased Negative Affect and Depressive Symptoms. (2010) Behaviour Research and Therapy, vol. 48, no. 9..
La capacité d’appliquer ces deux stratégies – recadrage et acceptation – nécessite une aptitude à observer notre propre activité mentale et à se familiariser avec les schémas psychologiques que nous avons construits au fil du temps. Développer la capacité à observer notre esprit et ses processus requiert d’entraîner nos facultés de concentration et d’attention.
Renforcer la résilience, c'est agir sur plusieurs niveaux de compétences humaines : concentration et attention, gestion des émotions, aptitudes prosociales, bien-être subjectif et besoin de sens et d'engagement.
Par ailleurs, lorsque nous sommes confrontés à des situations stressantes ou difficiles, les compétences émotionnelles deviennent essentielles7M. M. Tugade, B. L. Fredrickson, and L. Feldman Barrett, Psychological Resilience and Positive Emotional Granularity: Examining the Benefits of Positive Emotions on Coping and Health. (2004) Journal of Personality, vol. 72, no. 6.. Pour développer ces compétences, nous avons besoin d’une initiation au monde des émotions pour améliorer notre capacité à les reconnaître, à les nommer et à les gérer de la façon la plus constructive.
En outre, pour renforcer la résilience, nous devons également prendre en considération l’importance des aptitudes prosociales8J. Hu and R. Liden, Making a Difference in the Teamwork: Linking Team Prosocial Motivation to Team Processes and Effectiveness. (2015) Academy of Management Journal, vol. 58, no. 4. ainsi que la façon de rétablir les liens sociaux interrompus, d’améliorer la communication interpersonnelle et de posséder les outils pour gérer le nombre croissant de conflits.
Être plus résilient, c’est également pouvoir agir sur les leviers de ce que les scientifiques appellent le « bien-être subjectif ». Nous connaissons en effet aujourd’hui les stratégies mentales et comportementales capables d’améliorer le bien-être physique et psychologique au quotidien9S. Lyubomirsky, K. M. Sheldon et D. Schkade, Pursuing Happiness: The Architecture of Sustainable Change. (2005) Review of General Psychology, vol. 9. + J. E. A. Russell, Promoting Subjective Well-Being at Work. (2008) Journal of Career Assessment, vol. 16, no. 1..
Enfin, la résilience repose également sur notre capacité à rester connecté à du sens et à de l’engagement10A. S. Heller et al. Sustained Striatal Activity Predicts Eudaimonic Well-Being and Cortisol Output. (2013) Psychol Sci, vol. 24, no. 11. dans la vie, lesquels sont indispensables pour nourrir les comportements constructifs dans nos activités personnelles et professionnelles.
Pour contrer les risques liés à la fatigue pandémique, les entreprises doivent évidemment mettre en place des mesures de prévention appropriées et de nouvelles méthodes de travail, mais elles doivent surtout doter leurs collaborateurs de l’état d’esprit et des compétences nécessaires pour aider ceux-ci à se rééquilibrer et à retrouver leur force et leur motivation dans le contexte des événements actuels.
Le pire dans une crise, c’est de la gaspiller. Les entreprises peuvent assurément connaître une croissance post-traumatique mais à condition qu’elles soutiennent leurs équipes et leurs dirigeants dans le renforcement des Compétences Humaines Stratégiques, comme nous les qualifions chez Mind of Joy Consulting.
Valentina Dolara & Laurent van Steenkiste
Illustration de Luana Lloyd