Illustration Soigner les Soignants

Prévention du burnout : quand les médecins profitent des bienfaits de l’entrainement mental

Plus que jamais, les médecins sont confrontés à des conditions de travail difficiles qui ont un impact négatif sur leur équilibre psychophysique et leur motivation à poursuivre leur métier. Afin de ne pas succomber à ces difficultés, il est devenu essentiel d’apprendre à renforcer les compétences mentales qui permettent de mieux gérer les pensées, les émotions et les comportements non constructifs. Voici l’histoire d’une formation pilote développée pour l’Unité de Santé Locale de la Toscane.

Une situation sociale et sanitaire difficile

Nous sommes dans une période où le terme « résilience » a commencé à susciter de l’aversion chez les personnes en difficulté dans leur vie professionnelle. Développer la résilience est de plus en plus perçu comme une nouvelle tentative des organisations de s’affranchir de leurs responsabilités en la transférant sur la capacité d’adaptation des individus, alors que des changements dans les systèmes et les cultures de travail sont devenus indispensables pour permettre aux gens de continuer à aimer leur profession et à l’exercer dans des conditions acceptables.

Développer la résilience n'induit ni l'acceptation, ni la soumission à un contexte que l'on désapprouve.

Or, si cette réaction possède une certaine légitimité, elle est bien plus dommageable qu’il n’y paraît pour les individus, car pouvoir mieux vivre face aux difficultés n’induit ni l’acceptation, ni la soumission à ce que l’on désapprouve, bien au contraire. Que les contextes professionnels évoluent ou pas, en développant sa résilience, l’individu se donne la capacité d’être moins affecté émotionnellement, donc de protéger ses capacités professionnelles, sa vie personnelle tout en maintenant un esprit plus à même de prendre les bonnes décisions face aux problèmes à résoudre.

Une contagion émotionnelle délétère et globale qui entraîne une dégradation de la qualité des relations humaines.

Les années de pandémie ont exacerbé les mauvais services rendus au secteur de la santé au cours des années précédentes (coupes budgétaires, pénuries de personnel, bureaucratie pénalisante et détérioration générale des conditions de travail) et aujourd’hui le nombre de patients quotidien met plus que jamais à rude épreuve la gestion du temps, les relations humaines et la capacité des professionnels de santé à exercer correctement leur travail. S’ajoute à cela une sorte de contagion émotionnelle délétère et globale qui entraîne une nette dégradation de la qualité des relations humaines avec une incivilité généralisée dans les comportements et les paroles, pouvant même aller jusqu’à l’agression physique.

Nous vivons dans une société qui nourrit de plus en plus un narcissisme obsessionnel, le besoin de gratification instantanée et la propension à trouver des coupables extérieurs quand les choses ne se déroulent pas comme voulu. Nous n’assumons plus la responsabilité de notre frustration, elle est nécessairement la cause des autres.

Les niveaux élevés de stress et de fatigue affectent fortement l'activité professionnelle, la sphère personnelle ainsi que la santé des praticiens.

Les professions médicales et de santé, ainsi que d’autres professions clés comme les enseignants, ont perdu le respect social qui leur est dû et se retrouvent aujourd’hui concurrencées par le savoir de l’internet et des médias sociaux, considérés de manière irrationnelle comme plus fiables en laissant croire à chacun qu’il devient un professionnel en tout.

Ce sont autant d’éléments objectifs et sérieux qui conduisent les médecins à fuir leur profession et le service public dans des proportions qu’il est difficile d’ignorer. Dans ce contexte, brandir la résilience pour stigmatiser uniquement les difficultés individuelles est certainement une approche à laquelle il convient de ne pas adhérer. Néanmoins, la réalité du terrain est implacable : les niveaux élevés de stress et de fatigue affectent fortement l’activité professionnelle, la sphère personnelle ainsi que la santé des praticiens avec dans les cas les plus sévères, le burnout, une situation particulièrement grave et inacceptable.

Des compétences mentales à ne plus négliger

Si derrière les professionnels de santé, se trouve des femmes et des hommes qui ont fait le choix d’un noble et difficile engagement, ils ne sont pas pour autant invincibles car l’être humain, bien qu’intelligent et sensé, reste face à ses limites. Ainsi, ceux qui prennent soin des autres ont comme tout le monde besoin d’apprendre à maitriser et à transformer les attitudes mentales et les comportements impulsifs non constructifs.

Apprendre à identifier et à gérer de façon lucide et efficace la souffrance causée par nos pensées et les émotions difficiles.

C’est pourquoi, il est devenu indispensable de considérer les nombreux avantages que le personnel de santé peut tirer d’une formation mentale spécifique qui vient compléter les qualités et les aptitudes humaines de chacun.

Au contraire de Chiron1Dans la mythologique grecque, Chiron est le plus sage des Centaures. Fils de Cronos (sous la forme d’un cheval) et de l’Océanide Philyra, il est surtout connu comme éducateur des dieux et des jeunes héros (dont Achille). Il possède l’art de la médecine qu’il initie à Asclépios ainsi que la connaissance des herbes. Blessé par erreur d’une flèche tirée par Héraclès, Chiron souffre de douleurs intolérables de cette plaie qui ne peut être guérie. Bien qu’immortel, il demanda alors la mort à Zeus qui lui accorda après qu’il eut légué son immortalité à Prométhée. Zeus l’honora en le plaçant au ciel sous la forme de la constellation du Centaure. qui dans la mythologie grecque renonce à son immortalité pour ne plus souffrir d’une plaie empoisonnée, nous pouvons apprendre à identifier et à gérer de façon lucide et efficace la souffrance causée par nos pensées et les émotions difficiles au travers de formations à la conscience mentale qui reposent sur des connaissances et des pratiques largement validées et adaptées aux contextes professionnels modernes.

Il est temps de remettre en question le cadre culturel héroïque qui exige des soignants une sorte de vocation au martyre social et de leurs offrir la possibilité d’apprendre de manière structurée à entraîner l’esprit à cultiver et à maintenir un bon niveau de bien-être, même face à la complexité et à la difficulté de la vie professionnelle.

Une formation spécifique pour médecins

C’est dans ce contexte que l’Unité de Santé Locale de la Toscane, à la suggestion et sous la direction scientifique du Dr. Paola Squilloni, a décidé d’expérimenter cette possibilité en nous demandant de développer une formation intitulée « Prévention du burnout : focus sur le Mindfulness et la gestion du stress » d’une durée de 18 heures réparties sur 6 semaines et destinée aux médecins généralistes.

Malgré une diffusion encore faible de ce type de formation dans le monde médical italien, la preuve d’un réel besoin pour ces outils a été démontrée par l’extrême rapidité avec laquelle toutes les places ont été réservées pour cette première édition qui s’est tenue de mai à juin 2023.

Les compétences mentales et émotionnelles, bien que simples à comprendre, ne sont pas faciles à acquérir car elles ne peuvent être assimilées par la simple compréhension intellectuelle.

Au fil des semaines, les participants ont pu apprendre progressivement à stabiliser leur attention et à cultiver la conscience des signaux provenant de leur corps, de leurs pensées et de leurs émotions afin de mieux les réguler. À partir d’une analyse des distorsions culturelles et cognitives qui influencent le bien-être subjectif, le cours a commencé à poser les bases pour identifier, réduire ou éliminer les comportements et les attitudes mentales toxiques tout en cultivant et renforçant ceux qui sont sains et constructifs. De même, ont été abordés les méthodes pour accroître la conscience des réponses émotionnelles ainsi qu’un large éventail de stratégies pour faire face au stress et à l’anxiété. Les pratiques méditatives qui ont été partagées permettent non seulement de réduire la rumination mentale et l’épuisement empathique, mais aussi de renforcer les ressources intérieures en remplaçant la tendance au perfectionnisme par la bienveillance envers soi-même, en savourant pleinement les expériences positives et en se reconnectant à ses valeurs et à ses aspirations.

Cependant, les compétences mentales et émotionnelles abordées dans le cours, bien que simples à comprendre, ne sont pas faciles à acquérir car elles ne peuvent être assimilées par la simple compréhension intellectuelle. Si une base de connaissance est importante, la possibilité d’en apprécier les effets les plus authentiques implique nécessairement une expérience mentale et physique personnelle. Pour expliquer cette difficulté, nous pouvons prendre l’analogie de quelqu’un qui aurait gouté un plat extraordinaire et souhaiterai en relater l’expérience. Même si décrite avec la plus fine prose, personne dans l’auditoire ne pourra se rapprocher de l’expérience vécue par celui qui l’évoque. C’est identique pour l’entrainement mental, il est impossible d’en appréhender les bénéfices sans un engagement personnel et une mise en pratique de session en session.

100% de gens satisfaits et très satisfaits

Ce fut pour nous un cours particulièrement stimulant et agréable à bien des égards, transformant un certain degré de scepticisme initial (sain) des participants en un taux de satisfaction extrêmement élevé (88.2% de gens très satisfaits et 11.8% de gens satisfaits dans le questionnaire d’évaluation finale). Cela nous encourage à maintenir la motivation, l’engagement et la richesse des contenus que nous avons développés et partagés.

Toutes les personnes qui ont participé à la formation ont cherché à comprendre et à vivre quelque chose de nouveau avec curiosité et ouverture d’esprit. Au fil des semaines, nous avons pu observer plus de sérénité, plus de bonne humeur et un intérêt croissant à apprendre, réfléchir et expérimenter.

Les échanges au cours des sessions ont été extrêmement riches et bénéfiques car ils ont permis à chacun de comprendre que certaines difficultés ne sont pas que personnelles, et que dans la variété des contenus offerts par la formation, chacun pouvait trouver ce dont il avait besoin.

Il n’y a rien de plus satisfaisant pour nous que de savoir que nos efforts ont été utiles. La sympathie, les remerciements et les témoignages que nous avons reçus ont renforcé notre confiance dans les choix que nous avons faits pour élaborer la formation et l’état d’esprit avec lequel nous la proposons.

Mise à jour

De mai 2023 à octobre 2024, nous avons dispensé 108 heures de formation à 102 médecins avec un taux de satisfaction de 100 % et un taux de recommandation de 100 %.

Pour lire la synthèse des résultats des questionnaires de satisfaction, rendez-vous sur notre article « Formations pour médecins : nos résultats 2023 – 2024« .

La nécessité de s'inscrire dans la durée

Bien sûr, ce type de formation n’est qu’un début. C’est une ouverture, un élan qui a besoin d’être soutenu dans le temps pour avoir du sens et s’enraciner dans les habitudes quotidiennes. Comme de nombreux participants ont exprimé ce besoin, ce sera un plaisir de développer une formation d’approfondissement ainsi que des opportunités de soutien à la pratique individuelle. L’évaluation de l’impact de la formation dans le temps n’en sera que plus intéressante.

Après cette première expérience, nous attendons avec impatience l’édition de septembre.

Nous tenons à remercier tous les médecins qui ont participé à cette formation pilote pour leur volonté d’expérimenter de nouveaux outils afin de rendre leur vie professionnelle et personnelle plus sereine et plus équilibrée.

Nous vous souhaitons à tous un très bel été.

Valentina et Laurent

Image modifiée. Crédit image originale : Phillip Dvorak

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